Arno Stern, et l’expérience du jeu de peindre nous font voir une capacité naturelle, très peu « encouragée » dans notre société : la spontanéité. Trop souvent confondue avec le hasard ou l’impulsion, nous avons tout intérêt à la reconnaitre et la préserver pour les générations à venir.
Les milliers d’archives d’Arno Stern montrent à la fois l’incroyable évolution de la spontanéité au travers la trace et combien il est difficile de retrouver celle-ci lorsqu’elle a été entravée par l’intentionnalité. C’est paradoxalement pleins de bonnes intentions que nous continuons à éteindre celle-ci par nos systèmes éducatifs. Nous avons parfois tendance à croire que cette dichotomie entre l’inné et l’acquis est propre à la modernité ou à notre civilisation.
A la lecture du philosophe chinois Tchouang-tseu*, que j'ai découvert par le livre de Jean-François Billeter « Leçons sur Tchouang-tseu », nous constatons que ce débat ne date pas d’hier ! Frappée par la similitude des mots employés par Jean-Francois Billeter et Arno Stern, je vous partage cette scène décrite par Tchouang-tseu qui se passe à plus de 2300 ans d'écart...
« Confucius admire les chutes d’eau de Lü-leang. L’eau tombait d’une hauteur de 300 pieds et dévalait ensuite en écumant sur quarante lieues. Ni tortues ni crocodiles ne pouvaient se maintenir à cet endroit, mais Confucius aperçut un homme qui nageait là. Il crut que c’était un malheureux qui cherchait la mort et dit à ses disciples de longer la rive pour se porter à son secours.
Mais quelques centaines de pas plus loin, l’homme sortit de l’eau et, les cheveux épars, se mit à se promener sur la berge en chantant. Confucius le rattrapa. Il l'interrogea : "Je vous ai pris pour un revenant mais, de près, vous avez l’air d’un vivant.
"Dites-moi, avez-vous une méthode pour surnager ainsi ?" "Non", répondit l’homme, "Je n’en ai pas, je suis parti du donné, j’ai développé un naturel et j’ai atteint la nécessité. Je me laisse happer par les tourbillons et remonte par le courant ascendant. Je suis le mouvement de l’eau sans agir pour mon propre compte. »
En 2017, Arno Stern publie son livre « L’âge d’or de l’Expression ». En voici un extrait :
« De la spontanéité naissent des traces qui sont au delà du raisonnement, de l’intention, de la spéculation. Elles découlent de la profondeur de l’être et résultent d’un entrainement qui a libéré le geste de toute hésitation raisonnée- d’un entrainement qui le rend intense, à la mesure de la nécessité qui s’exprime par lui. »
Revenons au Tchouang-tseu où nous pouvons nous demander comme Confucius : « Que voulez-vous dire par : partir du donné, développer un naturel, et atteindre la nécessité ? L'homme répond alors : « Je suis né dans ses collines et je me suis senti chez moi : voilà le donné. J’ai grandi dans l’eau et je m’y suis senti peu à peu à l’aise: voilà le naturel. J’ignore pourquoi j’agis comme je le fais : voilà la nécessité. »
Alors que la philosophie occidentale s’est intéressée au fonctionnement de la pensée, Tchouang-tseu lui se penche sur la maîtrise du geste et le type de connaissances qu’elle implique, une intelligence du corps, une connaissance innée.
Ce changement de perspective auquel nous convient Tchouang-tseu, Jean-François Billeter et Arno Stern nous invite à repenser entièrement la conception que nous nous faisons de la personne, à découvrir d’autres ressources, d’autres forces…
Ce sera aussi le propos des deux conférences : « Ni art, ni thérapie, le jeu de peindre, c’est quoi ?»
Je vous souhaite un très bel été.
Estelle
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