« Il faut juste être présent, être là. » C’est la demande de Clémentine Vergnaud à ses proches, ceux-ci ne sachant que dire, plein de bienveillance, lui assènent : « J’en suis sûr, tu vas t’en sortir ! ». Pour Clémentine, atteinte à trente ans d’un cancer incurable et consciente de son état, il faut comprendre que cela sonne faux et n’aide pas beaucoup. Clémentine Vergnaud est journaliste à France Info. Elle a enregistré un podcast racontant son combat contre le cancer et révélant ses sentiments, ses rapports à sa maladie, aux médecins, à ses proches, ses moments de découragement, d’espoir, de peur, de joie : « Ma vie face au cancer : le journal de Clémentine. » C’est très instructif pour tout le monde et particulièrement pour ceux et celles qui accompagnent un proche. En tant qu’adulte, ce n’est pas toujours évident d’exprimer ce dont nous avons véritablement besoin et de pouvoir dire NON aux personnes remplies des meilleures intentions, mais qui sont tout bonnement à côté de la plaque. Alors, si c’est compliqué entre adultes, que dire pour un enfant … ! Refuser les bonnes intentions des adultes est particulièrement périlleux, voire impossible, l’adulte étant source de références et souvent d’autorité.
La présence vraie et silencieuse, celle qui donne de l’espace à l’autre sans l’envahir de nos opinions, de nos craintes, fait tellement peu partie de nos quotidiens, et particulièrement dans nos attitudes éducatives. Être vraiment présent auprès d’un enfant, demande de mettre des freins à nos habitudes impulsives d’interrompre, de questionner, de donner nos avis ; vous savez ces remarques : « C’est joli ! C’est quoi ? C’est pour qui ? C’est bien pour ton âge ! Raconte-moi, qu’est-ce que tu fais ? » Et tellement d’autres paroles qui encombrent l’enfant et parfois assomment… La plupart des civilisations premières avaient la sagesse de ne jamais interrompre un enfant, de le laisser parler en premier, penser par lui-même et partager ses réflexions sans jugement ni crainte de rejet.
C’est en rencontrant Arno Stern en 2004 que j’ai pu voir et comprendre que toute intervention sur le dessin de l’enfant est inutile et nuisible. Ce constat ne s’arrête pas au dessin. Dans tous les domaines, il est extrêmement laborieux de préserver les enfants de nos interventions tant nous y sommes habitués et ne croyons pas suffisamment en ses propres capacités d’apprentissage.
À l’heure où l’OMS (et l’ONU) pousse les écoles du monde entier à enseigner le plus tôt possible (dès 5 ans) les principes fondamentaux de la sexualité adulte sous toutes ses formes (EVRAS), il me semble opportun, et même urgent de réfléchir à ce que nous voulons transmettre aux générations futures et de quelle manière. Là aussi, les bonnes intentions ne suffisent pas, seule la sagesse importe.
La sagesse consiste entre autres à apprendre des expériences passées.
Il fut un temps où la mission scolaire consistait principalement en l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et du calcul. C’est dans ce contexte que l’aventure du Closlieu et du jeu de peindre débuta peu après la guerre. Le jeu de peindre, grâce à l’archivage méthodique qu’a réalisé Arno Stern durant plus de 7 décennies a l’avantage de rendre visible l’évolution de l’éducation.
Si vous avez vu le film Alphabet d’Erwin Wagenhofer, il y a un moment où Arno ouvre les archives et montre les peintures faites avant les années 80 et celles faites après. Peut-être vous posez-vous la question : Que s’est-il passé durant ces années 80 qui a eu un tel impact sur les enfants pour réduire à ce point leur spontanéité, leur créativité, leur insouciance, leur innocence ? Il n’y a pas eu de guerres, d’attentats, de confinements et pourtant quelque chose a profondément dénaturé l’enfant et c’est, pour Arno Stern, l’instauration de l’éducation artistique obligatoire : « …Est venue l’éducation artistique, avec ses écrasantes notions, empruntées au domaine de la création artistique. Elle a obstrué les canaux de la spontanéité. L’enfant est devenu un artiste de parodie, qui produit pour récolter la récompense des adultes complaisants (et complices, sans s’en douter, d’un saccage irréparable). Ce qui, quotidiennement, se produisait chez tant et tant d’enfants dans le Closlieu, un plaisir dont ils se souviennent, avec émotion, trente ou quarante ans plus tard, devrait être accordé à tous les enfants, les réjouir, faire d’eux des êtres accomplis. Mais une éducation malencontreuse a détruit en eux toute spontanéité et en a fait des êtres stériles, déséquilibrés, qui manifestent bruyamment leur inassouvissement. » Arno Stern
À l’heure actuelle encore trop peu de parents, de pédagogues en sont conscients. Croyant dur comme fer aux bienfaits du "faire" plus encore que ce dont s’est chargée l’éducation nationale ! Avec l’éveil culturel des tout-petits, les allées des musées se sont remplies de poussettes et même de landaus. Beaucoup de parents surchargent l’enfant d’informations, d’activités "éducatives", plutôt que d’accompagner l’enfant à protéger le meilleur dispositif qui fait grandir naturellement : c’est-à-dire JOUER ! En donnant une importance au passé (c’est la fonction du musée), nous soulignons de façon implicite que ce qui s’est déroulé en d’autres temps et d’autres lieux est plus important que ce qui est présent ici même en toi. Beaucoup reprocheront par la suite aux enfants d’être "ailleurs" et chercheront en vain des solutions pour les ramener dans "l’ici et maintenant" par toutes sortes de méthodes, en oubliant qu’ils y étaient naturellement. L'expérience du jeu de peindre remet en question beaucoup de nos attitudes éducatives. Je constate que c’est encore difficile pour certains et certaines d’écouter, d’être dans la présence et de faire confiance à l’enfant.
Que dire alors d’une éducation sexuelle obligatoire dès l’âge de cinq ans qui se met en place cette année scolaire ? Les adultes se font initiateurs et éducateurs, non d’une prévention contre les risques en matière de sexualité (MST, grossesse précoce non désirée, transgressions sexuelles), mais de la sexualité elle-même, et ce, à des enfants ! Cette éducation sexuelle est anticipative, comme le suggère l’OMS « Idéalement les différents sujets sont introduits avant que l’enfant n’arrive au stade correspondant de développement ». *
Lire « La déclaration internationale des droits sexuels » et « Les standards pour l’éducation sexuelle en Europe ».
Devancer l’enfant avec des informations qu’il ne pourra intégrer, c’est porter atteinte à l’innocence et au droit de découvrir par soi-même et d’explorer à son propre rythme les différents aspects de la vie. C’est faire une effraction psychique qui crée le plus souvent des traumatismes.
Quand un œuf fécondé se rompt par une force extérieure, la vie se termine, quand il se rompt par une force intérieure la vie commence…
L’éducation, comme elle est organisée dans notre société, est une source d’effractions quotidiennes, simplement par le fait de mettre tous les enfants d’un même âge ensemble ; ils n’ont pas la même maturité, les mêmes centres d’intérêt. Cela conditionne la comparaison, la concurrence, la compétition voire le harcèlement.
C’est par mon expérience de praticienne-servante du jeu de peindre que j’ai commencé à entrevoir la banalité de l’effraction et ses conséquences directes dans le développement de l’enfant.
J’ai eu la chance d’avoir de très jeunes enfants qui sont venus peindre dans mon espace. J’ai pu être témoin de cet immense plaisir qu’ont les tout-petits à tracer pour la première fois. Tout leur être est concentré sur ce geste nouveau et sur les allées et venues de la table-palette à leur feuille. Ils sont totalement présents à l’acte de peindre sans se poser aucune question sur le résultat. Tellement heureux de cette découverte, l’enfant continue à tracer chez lui. Trop peu d’adultes restent dans la présence, comme nous y invite Christian Bobin et Arno Stern juste être témoin de la joie de l’enfant. Malheureusement, ils interviennent alors dans le jeu de l’enfant, lui montrent comment dessiner un escargot par exemple ou lui demandent d’expliquer ce qu’il trace. Puis en revenant dans l’espace du jeu de peindre, l’enfant est heureux certes de retrouver ce lieu, cependant quand il commence à peindre, il devient très vite tendu, comme s’il cherchait quelque chose, son geste a perdu de l’assurance et de la spontanéité. Soudain, il s’arrête en disant : « Je ne sais pas… » Je comprends alors qu’il tente de refaire quelque chose qu’un proche lui a dessiné. J’ai vu une petite fille qui se roulait littéralement par terre, furieuse de ne pas arriver à faire l’avion que lui avait dessiné sa grande sœur. Le simple fait de stimuler l’apprentissage de quelque chose anticipativement au développement de l’enfant, perturbe son organisation interne. Cette spontanéité si précieuse est beaucoup plus difficile à faire revenir qu’à anéantir et chez certains enfants, je fais le constat qu’elle ne revient pas. C’est pour cette raison que j’ai créé cette journée « Comment préserver la créativité spontanée des enfants ? »
« En introduisant le doute dans l’esprit de l’enfant qui lui, croyait tout entier en ses facultés et qui, à force de lui dire qu’il doit pouvoir fabriquer un dessin conforme à l’idée qu’en a l’adulte, cesse de dessiner selon son impulsion naturelle. On "dégoûte" l'enfant de ce jeu. Il n’est pas étonnant alors que l’enfant n’y trouve plus de plaisir et, peut-être même, se croit-il tout à fait incapable… ». Arno Stern
C’est intéressant de prendre conscience de nos interventions, pourquoi les fait-on ? Est-ce notre besoin de reconnaissance, de se sentir supérieur ? Voici la vision d’Arno Stern :
« … Cette "incapacité", introduite par les adultes, devient la justification de leur rôle de sauveur ; rôle qui leur permet d'inculquer les notions qu’ils ont élaborées selon leurs théories… » Arno Stern
Je suis tout à fait consciente que l’éducation artistique obligatoire n’est pas du même acabit que l’éducation sexuelle promue par « Standards pour l’éducation sexuelle en Europe* ». Ces "Standards" tout en voulant nous faire croire que « L’enfance et l’intimité sont pleinement respectées. », s’imposent aux États*** sans le moindre respect, sans tenir compte des différences culturelles ni des droits fondamentaux de tout parent (cf. article 26.3 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme : « Les parents ont le droit de choisir, par priorité, le genre d’éducation à donner à leurs enfants »
Mon intention est de témoigner ici que, même pour quelque chose qui peut paraître sans importance comme activité, la manière dont nous nous comportons avec un enfant aura des conséquences sur sa manière d’être. J’aimerais que nous nous rappelions que les situations causant les plus graves traumatismes sont de nature sexuelle et commises par quelqu’un ayant autorité ou censé protéger l’enfant. « Avec le traumatisme, l’individu est en situation d’extrême vulnérabilité, et susceptible de déclencher divers troubles, tels qu’addictions, somatisations, dépressions, etc. pour "gérer" la souffrance engendrée par l’effraction traumatique. » A. Bilheran
Les violences sexuelles commises sur des enfants sont à l’heure actuelle estimées pour les filles à une sur cinq et pour les garçons à un sur dix ! Les statistiques s’inversent dans les régions où règnent la guerre et le chaos. C’est-à-dire qu’il devient rare surtout pour les femmes, mais aussi les hommes d'arriver à l’âge adulte sans avoir subi de viols !
Les enfants nous écoutent parfois, mais surtout nous observent et nous imitent !
Alors que nous tentons d’apprendre aux enfants à savoir dire non pour les protéger, est-ce que nous-mêmes en tant qu’adultes prenons-nous le temps de savoir à quoi nous disons oui et à quoi nous disons non ? J’ai beaucoup de gratitude envers tous les professionnels de l’enfance qui se sont déjà exprimés. La journaliste Senta Depuyt a regroupé toutes les informations ici
Je sais que le sujet est "sidérant" ; pour ma part, il l’est vraiment ! Parce que mon esprit avait tellement envie d’aller ailleurs, j’ai mis beaucoup de temps à écrire cette newsletter. J’ai entrepris, il y a quelques années, la lecture de « L’imposture des droits sexuels » d’Arianne Bilheran. Je n’arrivais pas à entrevoir qu’on puisse en arriver là !
Et voilà, on y est et comme le dit ce vieil adage populaire : « Qui ne dit mot consent ... »
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